De l'autre côté
C’est un film formidable et assez inracontable, tant le mouvement des
personnages qui se croisent, s’aiment, se cherchent, se perdent, se
frôlent, se loupent… nous emporte, nous fait tanguer entre deux
cultures, l’allemande et la turque, croisant les destins, croisant les
regards sans pourtant que jamais l’on ne perde une seconde le fil d’une
histoire tout à la fois complexe et d’une limpidité de cristal.
Embarqués dans la vision autant politique qu’intime de vies
indissociables de la destinée des pays qui les ont façonnées, on
assiste à une sorte de ballet envoûtant, orchestré au quart de poil,
avec une fluidité sans pareille. Rien n’est gratuit ici, rien n’est de
trop, pas une seconde d’ennui ou d’indifférence et les acteurs de ce
mélodrame moderne sont tous plus justes, plus pertinents, plus
attachants les uns que les autres,
Jamais ces personnages ne se trouveront tous ensemble,
extraordinairement impliqués les uns dans la vie des autres sans
savoir, le plus souvent, jusqu’à quel point chacun compte pour l’autre.
Pourtant l’amour circule, les liens sont forts, même invisibles, même
tus. « Ce n’est pas seulement une impressionnante galerie de portraits
humains confrontés à la mort dont Fatih Akin restitue la fresque
palpitante, c’est aussi le dialogue douloureux et malade entre Turquie
et Allemagne, deux pays liés par les larmes de l’exil et le sang des
cercueils, qu’il restitue » écrivait Olivier Séguret au moment de la
présentation du film à Cannes où il a remporté le prix du Meilleur
scénario et le prix du Jury œcuménique. Confrontés à la mort,
confrontés à l’amour, confrontés à tout ce qui fait la vie, à ce qui
fait notre monde présent, ils sont tous, vulnérables, sensibles et
superbes dans ce film qui mêle l’universel au particulier et sollicite
l’intelligence autant que l’émotion, dans un dosage subtil qui nous
place toujours à la bonne distance:« J’ai tenté de réaliser ce film en prenant du recul… Mais parfois ce
n’est pas l’intellect qui décide. J’imagine qu’il s’agit d’une part de
moi beaucoup plus irrationnelle, qui vient du cœur » dit Fatih Akin.